mercredi 21 septembre 2011

La montée en puissance de l’économie créative

Dépassant les incertitudes des bourrasques financières, un nombre significatif d’entreprises se projette déjà dans l’économie créative qui se concrétise peu à peu.

« Différenciation » devient désormais le mot d’ordre des dirigeants et des stratèges adressé aux directions de l’innovation.

Une différenciation que l’on précise créatrice de marge, pas de risque, une différenciation portée par un flux d’innovations continu, en nombre, à coût maîtrisé.

Les directions de l’innovation reçoivent la demande avec circonspection. La direction générale revient alors avec sa pléthore d’exemples glanés dans les revues de management et les conférences : APPLE, GOOGLE, P&G. Toutes ont une R&D inférieure aux acteurs clés du secteur et vivent une croissance à 2 chiffres sur les 5 dernières années, là où pour d’autres du même secteur, c’est l’atonie. Une technique ? Une chance insolente ? Non, ces acteurs sont les icones d’une nouvelle nature de modèle de création de valeur conjuguant entreprise collaborative et open innovation, le modèle vertueux de l’économie créative.

Si la direction est claire, comment y aller ? Economie créative, définition et mode d’emploi … en 3 minutes chrono.

L’économie créative, c’est nouveau ?

Levi Strauss, Drapier, Californie 1873

Une entreprise basée sur l’innovation, en quoi est-ce nouveau ? Sur ce point, un ami m’objectait avec bienveillance qu’en 1873, quand Monsieur Levi Strauss qui fabriquait des pantalons en toile de Nîmes rencontra Monsieur Jacob Davis qui maitrisait la technique des rivets, ils eurent un éclair de génie et créèrent ensemble une innovation, une marque et industrialisèrent leur innovation qui engendra l’entreprise que l’on connait.

Jacob Davis, spécialiste des rivets appliqué au Jean 1905

Aujourd’hui en quoi est-ce nouveau ? La réponse fut simple : l’économie productive attendait un éclair de génie pour engager une fabrication reproduisant en masse l’objet inventé, l’économie créative fonde sa création de valeur sur la génération en flux d’éclairs de génie, d’innovations.


L’économie créative : industrialiser l’innovation en flux continu

Les entreprises phares dont on nous rebat les oreilles pour leur succès ne sont pas basées sur une innovation précise mais sur une capacité continue à générer de l’innovation. Ce qui fait leur premium absolu, c’est leur capacité à générer de l’innovation en flux croissant, ce flux de surcroit contribuant à accroitre la différenciation de l’entreprise. Plus ces entreprises créent, plus leurs produits sont différenciant, et plus l’entreprise se différencie.

Si cela est vraiment nouveau au point que l’on précise que l’on passe de l’économie productive à l’économie créative (1), cela n’est en fait pas nouveau au plan humain.

L’économie créative, ça existe déjà depuis longtemps … au niveau individuel…

Pablo Picasso 1881-1973 - Artiste Peintre

Dans l’Art, chaque artiste est un innovateur, chaque objet nouveau est une création. Au delà, chaque artiste pour exister se doit d’avoir un modèle d’innovation propre. C’est la singularité de son modèle artistique qui fait sa puissance. Cézanne, Braque, Matisse, Mondrian, développaient leur propre singularité. S’il y avait compétition sur la réputation, chacun restait lui même. Créer comme un autre, c’est être l’autre. Ce qui n’empêche pas de s’ouvrir aux autres. Picasso par exemple, s’inspirait de tous ses contemporains mais faisait du Picasso. D’autres, quand ils venaient voir Picasso, faisait le lendemain du Picasso. Conscient que certains s’inspiraient trop directement de ses travaux, Picasso disait : « Si moi je copie, eux, ils pillent ».

Autre analogie : la haute cuisine. La génération montante de chefs ne s’inscrit plus dans une même vogue comme par le passé (Nouvelle Cuisine) mais dans une dynamique de singularité : Yannick ALLENO, Anne-Sophie PICK, Alain PASSART, Thierry MARX, ne se concurrencent pas sur une performance explicite, mais sur une expérience inédite où ils se doivent d’être eux mêmes, authentiques et de se dépasser continuellement.

Ces nouveaux chefs sont à la recherche de nouvelles inspirations passant de l’écoute du monde à celle de leurs terroirs, des évolutions de la société aux ressentis complexes de leurs clients. Ils recherchent de nouveaux ingrédients. Ils croisent, essayent, travaillent avec leur équipe. Constamment à l’affut. C’est leur dynamique d’innovation qui fait leur singularité. Et l’analogie avec l’entreprise ne s’arrête pas là. Les grands de la cuisine disent à l’envie que la qualité des ingrédients, leur authenticité est primordiale. Ils travaillent étroitement avec leurs fournisseurs, explorent, vont chercher l’inspiration, sont exigeants avec eux-mêmes. Leur innovation est valorisée par le différentiel entre le prix d’achat de l’ingrédient et le prix client par un sérieux multiple, un multiple bien supérieur à la moyenne. La création de valeur n’est pas un simple delta sur la somme des ingrédients. Elle est dans l’invention du tout : le goût, la combinaison des goûts, des émotions, des sens, le rapport au reste du monde, à l’histoire, au futur, au sens.

Les entreprises de l’économie créative portent au même niveau cette réalité. Si leurs innovations se doivent d’être composées d’excellents ingrédients, c’est la qualité du tout qui fait leur succès. Chacun des 300 brevets de l’Iphone est pertinent, qualitatif, brillant, mais c’est le tout du « plat iPhone » que plus de cent millions de clients ont apprécié. L’économie créative ne se confond pas avec le secteur Hi Tech, loin de là.

L'Occitane en Provence, Entreprise singulière de l'Economie Créative

Au cœur de notre Provence, L’Occitane procède de cette même nature d’innovation : les huiles essentielles et les parfums sont authentiquement du terroir provençal, mais c’est le tout, le mix inventif et unique de « L’Occitane-en-Provence », la singularité de son univers, de ses produits, de ses packs, de sa créativité continue qui fait son succès à travers plus de 1.500 boutiques dans 80 pays du monde, une croissance à 25% par an (plus de 600 Millions d’euros de CA). L’usine (500 personnes) est à Manosque, la cotation est à Hong Kong.

Toutes ces démarches innovantes partent du « tout » à créer comme but à atteindre.

Et pour réussir ce tout, elles mobilisent de la recherche (nos fameux brevets), un terroir, des gens, des idées, une projection, des conditions d’inventivité, une dynamique de créativité avec leur écosystème pour générer les associations d’idées, les opportunités, et enfin et surtout des porteurs de projets qui transforment ces opportunités en succès.

Si l’économie productive a vu apparaître des entreprises sachant répliquer en masse un produit issu d’une innovation, l’économie créative est le fait d’organisations humaines capables de générer en flux des innovations. L’économie productive a su organiser les hommes sur des chaines de valeur, en systématisant le travail productif, l’économie créative intensifie l’innovation en créant, développant l’écosystème de création de valeur de l’entreprise par l’Open Innovation, la créativité collective, la capacité à travailler en mode collaboratif.

Economie créative, le fait nouveau, c’est l’intelligence sociale !

L’innovation de l’économie créative, c’est d’appliquer à une industrie, un secteur, un territoire, la puissance créatrice d’un artiste, d’un ingénieur, d’un marketeur, d’un entrepreneur … à un collectif. L’économie créative, c’est la créativité non plus d’un individu mais d’un collectif : la créativité de l’intelligence sociale.

L’innovation de l’entrepreneur de l’économie créative, c’est de savoir créer les conditions de cette intelligence sociale, dans une forme singulière (on ne peut être créateur si l’on est une réplique), c’est de faire émerger le sens et l’énergie d’un collectif pour que chaque partie de celui-ci devienne contributeur de l’intelligence sociale de l’entreprise, de son écosystème.

L’économie créative, c’est la créativité non plus d’un individu mais d’un collectif : la créativité de l’intelligence sociale.


L’économie créative émerge autant dans le désir des citoyens d’être parties prenantes de la société, de l’économie qui est censée les servir, que du fait d’entrepreneurs qui imaginent de nouveaux systèmes de création de valeur, portés par de nouvelles valeurs.

L’économie créative est en marche

L’économie créative s’illustre de plus en plus chaque jour à travers un nombre croissant d’entreprises exemples.

APPLE, première capitalisation boursière mondiale, atteint dans quelques jours les Steve Jobs - Architecte du système d’innovation d’APPLE100 milliards de dollars de CA annuel, contre 14,5 milliards en 2006, 5 ans auparavant. Grâce à une innovation ? Non, un flux d’innovations cohérentes, un modèle d’entreprise innovant. L’innovation d’APPLE est d’abord dans son modèle d’innovation. APPLE a peut être pour premier mérite d’avoir compris les clés de l’économie créative bien avant les autres.

L’économie créative a besoin de nouveaux outils managériaux

Les entreprises et les territoires comprenant la transition en cours ont besoin de faire évoluer leurs outils de management depuis ceux qui, au niveau stratégique, permettent de définir leur business models jusqu’à l’ensemble des pratiques collaboratives assurant l’opérationnel. C’est pour répondre à ce besoin qu’In Principo et ses partenaires lancent en ce 22 septembre 2011, L’Université Collaborative, un dispositif nouveau pour acquérir et partager ces savoirs et ces pratiques en émergence.

— Olivier Réaud